Suite et conséquences
Mais bientôt, l’eugénisme prend un tour plus sinistre : certains des partisans de Galton cherchent à décourager voire à empêcher la reproduction des individus considérés comme génétiquement inférieurs. Dans le pire des cas, ils promouvaient la stérilisation forcée des « imbéciles », des handicapés, des malades mentaux et autres. Ainsi, l’eugénisme négatif commence à émerger, alors que Galton ne prônait qu’un eugénisme positif en faisant se reproduire les “meilleurs” entre eux.
Fin XIXe siècle et début XXe siècle, l'eugénisme positif et l’eugénisme négatif passaient largement pour progressistes et scientifiques. Certains de leurs partisans les plus enthousiastes étaient des socialistes qui y voyaient un moyen d’améliorer la qualité génétique, et donc le devenir social, des classes laborieuses. Par exemple, H. G. Wells (1866-1946), socialiste britannique considéré comme un des pères de la science-fiction romanesque, adhère à la Société eugéniste en 1907. Il n'approuvait pas les idées de Galton mais s’intéressait à l'eugénisme négatif.
Un exemple de la progression rapide de l’eugénisme à cette époque est les États-Unis. En 1894, trois étudiants diplômés de l’université d’Harvard y fondent L'Immigration Restriction League (La Ligue de restriction de l'immigration), la première entité américaine officiellement associée à l’eugénisme. Cette ligue cherche à interdire à ce qu'elle considère comme des races inférieures d'entrer en Amérique et de diluer ce qu'elle considère comme le stock racial américain supérieur (classe supérieure de gens du Nord d'héritage anglo-saxon). Ses membres estiment que le mélange social et sexuel avec ces races moins évoluées et moins civilisées provoquerait une menace biologique pour la population américaine. En 1909, ils créent même un comité pour l’eugénisme.
Au Royaume-Uni, le berceau de l’eugénisme, la première université eugéniste voit le jour en 1904. De plus, cette idée constitua jusqu’à la Seconde Guerre mondiale un élément incontournable du débat politique : Arthur Balfour et Winston Churchill, pour ne citer que des Premiers ministres, défendront des points de vue eugénistes. En 1907, la Société pour l’éducation eugéniste (Eugenics education society) est créée. Aujourd’hui, elle existe toujours sous le nom d’Institut Galton (Galton Institute). Elle devint la principale association britannique de promotion de l’eugénisme. Francis Galton ne s’y engagea lui-même qu’après de longues hésitations, devenant en 1908 son président honoraire (pas vraiment de fonctions, à part celle d'un sage). Leonard Darwin, un des fils de Charles Darwin, occupa les mêmes fonctions de 1911 à 1928.
La Société pour l'éducation eugéniste parvient tout de même à faire entendre sa voix dans les débat publics mais ne fut jamais une organisation de masse. Elle comptait environ 1 700 membres, dont certains faisaient partie des hommes les plus importants du royaume. Par conséquent, elle devint une organisation fermée et influente constituée à majorité de scientifiques, avocats et notables. Elle investie rapidement tout le territoire britannique et eut même une représentation locale en Australie. Une partie du mouvement eugéniste revendiquait des lois eugéniques. Finalement, malgré son origine britannique, aucune mesure eugéniste n’a été adoptée par le Royaume-Uni : un projet de loi en 1912 soutenu par Churchill, prévoyait d’imposer une pénalité aux personnes qui épouseraient un conjoint tenu pour intellectuellement déficient, avec possibilité d’approuver ultérieurement la stérilisation forcée, mais il a été refusé grâce à une campagne de militants.
En France, le développement des idées eugénistes n’a pas attendu Galton. En 1756, le médecin Charles-Augustin Vandermonde publie un Essai sur la manière de perfectionner l’espèce humaine. Comme Galton le fera plus tard, il s’inspirait des croisements que l’on fait dans les cheptels animaux pour les améliorer, pour faire de même avec les humains. Par contre, contrairement à la méthode de sélection animale, il préconisait pour l’homme le maximum de diversité, encourageant ainsi le métissage. Ces idées eugénistes furent grandement déclinées au cours des cent cinquante ans suivants, avec une notion de hiérarchie des races humaines toujours plus présente.
En 1893, la Ligue pour la régénération humaine est fondée par Paul Robin, un pédagogue libertaire qui ramène d’Angleterre les principes néo-malthusiens. Cette ligue vise à rationaliser la procréation par le contrôle des naissances et le choix de la qualité contre la quantité (prônée par les “repopulateurs”). Un peu plus tard, un comité consultatif, constitué de 45 membres dont une majorité de scientifiques, de médecins et de statisticiens, mais aussi quelques hommes politiques, notamment Paul Doumer (président de la République française de 1931 à 1932), est formé pour participer au premier congrès international d’eugénisme de 1912. A la suite de ce Congrès, les membres du comité se retrouve sur l’appel du démographe et ingénieur statisticien Lucien March (1849-1933) pour unir leurs forces le 12 décembre 1912 à l’École de Médecine de Paris. Puis en janvier 1913, le comité devient une véritable association et réunit 104 personnes à la première réunion, dont 64,5 % de médecins. La Société française d’eugénisme est ainsi créée. Le physiologiste Charles Richet, prix Nobel de médecine de 1913 qui soutient des idées eugéniques mais aussi très racistes, en est le président de 1920 à 1926, en plus d'en être l'un des fondateurs. Dans les années précédant sa fondation, l’eugénisme en France s’était nourri des discours sur le déclin démographique du pays, appuyés par les plus grands démographes. De manière générale, l'eugénisme se matérialisa surtout par des mesures de natures environnementales et sociales contre la propagation des tares que l'on croyait alors héréditaires, comme la tuberculose, la syphilis ou l’alcoolisme.
Peut-être Galton était-il un peu conscient des difficultés que pourraient rencontrer l’eugénisme à grande échelle, puisqu’il écrivit juste avant sa mort dans Essays in eugenics en 1909 : Il est avant tout nécessaire, pour que les progrès de l’eugénisme soient couronnés de succès, que ses défenseurs procèdent avec discrétion et ne prétendent pas à une efficacité plus grande que celle que le futur pourrait confirmer.
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